Il y a quelque part un coin de terre, de pavés, d'arbres et d'oiseaux noirs qui soulève une houle, qui creuse une brèche au fond car il est comme une esquisse de quelque chose.
Souvent j'enfourche mon vieux vélo pour y jeter un œil, essayer de saisir son reflet et regarder le temps qui passe dessous.
J'écoute la voix des lieux abandonnés, le silence bavard de ce qui n'est plus. Le paysage comme un palimpseste sage, comme un pays. J'écoute ce qui ne fait presque pas de bruit, ce qui se perd et ce qui reste, j'écoute la vie des hommes dans un journal qui se décompose sur un chemin. J'écoute des instants, des Vies minuscules.
Je cherche aussi une familiarité avec le temps, avec ce mélange de temps qui constitue notre existence. Est-ce le temps qui passe ou est-ce nous?
Je poursuis les traces de l'absurdité de l'existence et celles de la putréfaction de notre société, c'est-à-dire de la vanité des hommes, dans ce jeu de la nature et du temps où l'homme n'est qu'une trace, un délabrement.
J'accepte par accumulation que le propre de l'homme soit d'être seul, éphémère et insignifiant. Je cherche ce qui l'est. Je ressens alors cette hébétude face au vide, à la chute, à l'égarement.
Et dans ces courts instants, je trouve à l'homme une grandeur, un courage, un caractère vivant qui dure. J'essaie aussi de comprendre comment nous faisons partie de l'avant, de ce passé inconnu, comment les lieux reflètent les hommes et comment les hommes reflètent les lieux.
J'exhume les traces de ce qui, sous le lit du temps, de son cours inéluctable et de ses infimes et affreuses conséquences, pourrait peut-être avoir un sens, une importance.
C'est comme de l'archéologie de l'essentiel. Sous la banale tragédie du quotidien, sous la couche du temps et sous l'oubli, j'essaie d'entendre une musique.
J'observe le geste du travailleur, du jardinier, sa danse, la dimension qui y est contenu. J'apprécie l'esthétique et l'authenticité perdue des esquisses.
Je suspends le temps en fixant un mouvement, un changement, une mutation pour le comprendre mieux.
Et j'essaie de me rappeler que: "Dans la rapport à la distance, un gravier peut devenir une montagne." (Bruno Munari par Anne Herbauts).
Temples.
Cris d'oiseaux au lever du jour.
A la lisière des choses, dans les entre-deux, les marges et les frontières, dans ce qui échappe
et ce qui vagabonde, fouiller les riens, creuser les vides, chercher les infimes variations, glaner les miettes, soulever les cailloux, voyager sur une chaise, danser sur des lignes,
respirer le parfum des mauvaises herbes dans les fossés au petit jour, et douter toujours...